Qui avait entendu parler de cette histoire avant que Mathieu Kassovitz ne l'adapte à l'écran ? Des gens de mon âge et plus jeune, pas grand monde j'imagine. Je pensais que ce genre d'évènement ne s'était pas produit en France depuis la fin des colonies, au début des années 60. Actions de guerre, tortures des populations civiles, exécutions sommaires, ça s'est passé en Nouvelle Calédonie en 1988 à la veille du premier tour de l'élection présidentielle.

 

Donc, les faits selon le film L'Ordre et la Morale, qui se place du point de vue du capitaine du GIGN Philippe Legorjus . Ile de Ouvea, au nord de l'archipel, le FLKS (Front de Libération Kanak Socialiste, parti indépendantiste jugé terroriste par Paris) entreprend d'occuper des gendarmeries pour protester contre les nouvelles lois Pons. Une des actions tourne au drame, quatre gendarmes sont abattus. Sur place, c'est un accident regrettable dû à la nervosité et à l'inexpérience de tout le monde. En métropole, c'est un massacre à la machette, on parle même de décapitations. Les indépendantistes se replient vers le nord de l'île avec les autres gendarmes en otages. Le GIGN est dépêché sur place pour lancer des négociations, mais quand ils descendent sur le tarmac de Noumea, 300 soldats de l'armée sont déjà déployés sur l'île. Le capitaine Legorjus, après une approche difficile, a gagné la confiance de Alphonse Dianou, le leader des ravisseurs et est en position de négocier. Mais les volontés politiques semblent être toutes autres. On est à la veille des élections présidentielle en période de cohabitation, le premier ministre se présente contre le président et tous les moyens sont bons pour freiner l'autre. Le ministre des DOM TOM de l'époque Bernard Pons réduit à néant les possibilités de négociations puis estimant qu'il est impossible de négocier lance l'armée dans une offensive terrestre, les gros moyens qui vont tout raser. Bilan, 2 militaires tués et 19 Kanaks, dont 5 exécutés après l'assaut. C'est dégueulasse, autant pisser dans un violon, se battre contre des moulins à vent ou ce que vous voulez, un seul homme ne peut rien contre les ordres provenant du sommet de l'Etat.

 

 

Venons en au film, il est sobre. Mathieu Kassovitz en homme intelligent sait qu'il n'a pas besoin d'en rajouter. Alors amateurs d'explosions, d'effusions de sang, de soldats bodybuldés et de coups de gueules, passez votre chemin. L'ambiance sur l'île est suffisamment étouffante, et pas seulement parce que c'est la saison des pluies. Il y a de l'électricité dans l'air, la tension entre les différentes parties est énorme, GIGN, armée, ravisseurs, population locale, personne n'a confiance en personne, quand ce n'est pas simplement de la haine qui se lit dans les yeux.

 

Mais c'est pas tant le côté cinématographique qui m'intéresse, est ce que les acteurs sont bons, tout ça, ça m'est égal. Je voudrais savoir si les faits sont correctement retranscrits. Le réalisateur s'est appuyé sur le livre L'Action et la Morale du capitaine Legorjus et n'aurait de toute façon aucun intérêt à modifier l'histoire. Et puis, il y a des vérités qui n'ont pas dues sortir des environs de la grottes et d'autres des sphères de l'Etat. Mais c'est juste que je trouve un petit côté caricatural aux forces en présence. GIGN = gentils, armée = méchants, ravisseurs = pauvres gars dépassés par leurs actes, politiques = froids manipulateurs. Certes c'est pas étonnant. J'ai voulu connaitre les réactions de Bernard Pons, ministre des DOM TOM au moment des faits et personnage important du film. Dans 20 Minutes, il dit "S'ils ont donné l'ordre d'attaquer, c'est parce que la vie d'hommes était en jeu et non pas parce qu'ils étaient au coude-à-coude avant le second tour de la présidentielle" et sur la situation actuelle de l'île que "Le travail effectué depuis 1988 est remarquable. J'espère qu'un jour, toutes les composantes de l'île pourront vivre en paix, ensemble". Dans Les Nouvelles Calédoniennes (l'article n'est plus consultable gratuitement), il se dit indigné par le manque d'objectivité et "que "toutes les démarches pour aboutir à une négociation avaient échoué, en raison du refus catégorique des preneurs d'otages". La même chose que dans le film en fait. Et ça sent la langue de bois à plein nez.

 

En 1988, à la tête de l'Etat, il y avait François Mitterrand président, Jacques Chirac premier ministre, Charles Pasqua ministre de l'intérieur. Pas des personnages connus pour la clarté de leurs actions. Ils ont fini ou ils finiront leur vie des affaires non éclaircies ou même pas soupçonnées pleins les poches. On sait bien que ce n'est pas 20 vies humaines qui ont dû les empêcher de dormir. A 25000km d'Ouvea, on n'entend pas crier de toute façon. Moi j'ai envie de faire confiance à Mathieu Kassovitz.

 

 

 

 

Bonus ! L'éclairage de Marie et Romain, en Nouvelle Calédonie depuis 6 mois:

 

- La diffusion du film ... "Gros débat sur la diffusion ou non de L’Ordre et la Morale sur le territoire calédonien, peur d’affrontements, de dégâts matériels … Le film a été projeté une première fois courant novembre sur invitation au Centre Culturel Tjibaou (centre dédié à Jean-Marie Tjibaou, chef de file du FLKNS, symbole ? ). Le principal cinéma de Nouméa n’a pas accepté de diffuser le film dans ses locaux par peur de débordements de la foule. Douglas Hickson, propriétaire du seul cinéma de la ville de Nouméa, avait décidé de ne pas le diffuser estimant qu'il est trop "polémique et caricatural". Le film a seulement était racheté par Ciné Brousse et sera apparemment diffusé le 12 décembre également au Centre Culturel Tjibaou en présence du réalisateur puis suivi d’un débat. Néanmoins, trois ou quatre copies du film seront envoyées dans les cinémas municipaux de La Foa et Bourail, mais aussi dans les médiathèques, les salles de spectacle ou en tribu."

 

La jeunesse ... "En dehors de Nouméa, en brousse plus communément, les kanaks vivent en tribus c’est-à-dire en communauté où il y a des règles communes donc. Ils mettent tout en commun, jusqu’à l’argent. Ces coutumes correspondaient bien à un mode de vie il y a plusieurs années, aujourd’hui avec l’évolution de la société, les jeunes kanaks ne s’y retrouvent plus et boivent du coca, mangent MacDo. Il faut savoir que les Américains sont vénérés ici, ils sont venus pendant la Seconde Guerre Mondiale, ont construit de nombreux bâtiments encore tous en activité aujourd’hui, ont légué leur façon de vivre et tous les vices qui vont avec … Les blancs qui civilisent les autochtones … C’est schématique mais c’est ça. En tous cas, le contexte est chaud ici, l’alcool et le cannabis font des ravages, les jeunes kanaks des tribus viennent à Nouméa car ils n’acceptent plus leurs « vieilles » (par rapport à la société de consommation d’aujourd’hui) traditions et comme ils ne travaillent pas, ils boivent et fument …"

 

L'emploi local ... "Aujourd’hui, pour aider les kanaks à s’insérer dans une société à l’opposé de leurs coutumes et traditions, le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie a rédigé un texte relatif « à la protection, à la promotion et au soutien de l’emploi local », c’est-à-dire pour favoriser l’accès à l’emploi aux personnes résidants sur le territoire calédonien et jouissant d’une citoyenneté calédonienne. Dans le secteur privé d’abord, les emplois seront prioritairement occupés par des citoyens de la Nouvelle-Calédonie et, à défaut, par des personnes justifiant d’une durée de résidence suffisante. Cette « durée de résidence » sera définie par un tableau des activités professionnelles élaboré par les partenaires sociaux. Il prendra la forme d’un accord collectif interprofessionnel. Cette priorité à l’emploi local s’appliquera bien entendu à « conditions de qualification et de compétences égales ».

 

2014, référendum pour l'Indépendance ... "Les Accords de Nouméa (qui font suite aux accords de Matignon de 1988) signés en 1998 entre l’Etat, la droite non-indépendantiste et les indépendantistes organisent la décolonisation de l’archipel français du Pacifique, au travers de transferts de compétences, de la création d’une citoyenneté ou de la reconnaissance de l’identité kanake. Cet accord de Nouméa stipule qu’à son terme, la France n’exercera plus en Nouvelle-Calédonie que les compétences régaliennes (justice, ordre public, monnaie, défense et affaires étrangères) d’où un transfert de compétence au gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Un référendum doit donc être organisé en 2014. Les votants doivent être nés en Nouvelle-Calédonie ou y vivre depuis au moins 10 ans. Ce référendum, qui fait suite à plusieurs autres référendums et qui étaient prévus et inscrits dans les Accords, doit être le dernier … Cela fait plus de 20 ans que la Nouvelle Calédonie est en phase d’indépendance mais pas entière. La grande majorité des habitants ne souhaite pas l’indépendance alors que les Kanaks (minoritaires par rapport aux autres ethnies mélangées) la prône …
La Nouvelle Calédonie restera un territoire associé à la France."

 

Merci à vous.

 

 

 

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